INTRODUCTION

Dans l'industrie de la construction, l'obligation de renseignement fait habituellement référence à l'obligation qui incombe au donneur d'ouvrage de fournir suffisamment d'informations à ses cocontractants lors d'un projet donné. Celle-ci n'est toutefois pas exclusive au donneur d'ouvrage, puisqu'elle incombe également aux entrepreneurs et aux sous-entrepreneurs. De plus, elle implique non seulement le devoir d'informer, mais également le devoir de s'informer. En pratique, l'obligation de renseignement varie généralement selon le degré d'expertise de chacune des parties.

Dans une décision récente[1], la Cour supérieure s'est penchée sur la question de l'obligation de renseignement dans le cadre de la préparation d'une soumission à la suite d'un appel d'offres.

FAITS

Les faits qui ont donné lieu à cette décision découlent d'un contrat octroyé à la demanderesse Norexco inc. (« Norexco »), entrepreneur général, suivant un appel d'offres entrepris par l'Office municipal d'habitation de Montréal (l'« OMH ») relativement à des travaux de rénovation devant être effectués sur un immeuble résidentiel  situé au coin des rues Jarry et Berri, à Montréal (le « Projet »), notamment le remplacement de garde-corps.

En mars 2013, Norexco se procure les plans et devis du Projet (les « Plans et devis ») afin de préparer sa soumission. Ces plans prévoient deux fournisseurs potentiels pour la fourniture et l'installation des garde-corps, soit la défenderesse Produits de métal Allunox Inc. (« Allunox »), et Ramp-Art.

Norexco communique avec ces deux entreprises et leur offre de présenter une soumission dans le cadre du Projet. La soumission d'Allunox, au montant de 83 000 $, est reçue dès le lendemain, alors que celle de Ramp-Art, pour une somme de 162 000 $, est reçue tardivement. Conséquemment, Norexco retient uniquement la soumission d'Allunox.

Par la suite, Norexco reçoit les dessins d'atelier d'Allunox et constate que ceux-ci ne sont pas conformes aux Plans et devis. En effet, les garde-corps doivent être constitués de deux panneaux de 4 mm chacun, trempés et laminés ensemble, pour une épaisseur de 8 mm. Or, ceux des dessins d'Allunox ne prévoient qu'un panneau non laminé de 6 mm. Norexco en informe Allunox qui s'engage à les retravailler.

Cependant, plutôt que de nouveaux dessins d'atelier, Allunox transmet à Norexco une nouvelle soumission sur laquelle il est indiqué que le prix a été modifié afin de rendre la soumission conforme aux Plans et devis. Le prix ajusté est de 176 000 $, soit plus du double de la soumission initiale.

En conséquence, Norexco met Allunox en demeure d'exécuter son contrat selon les conditions prévues à la soumission initiale. Restant sans nouvelles d'Allunox, Norexco se voit contrainte de faire appel aux services de Ramp-Art afin de compléter le Projet.

Alléguant qu'elle a commis un manquement grave engageant sa responsabilité en omettant de prendre en considération les Plans et devis, Norexco réclame à Allunox une somme de 85 990,15 $, soit la différence entre le montant de sa soumission initiale et les sommes encourues pour faire exécuter les services par Ramp-Art.

En défense, Allunox prétend n'avoir commis aucun manquement, étant plutôt d'avis que l'obligation de vérifier la conformité de sa soumission aux Plans et devis incombait à Norexco, avant qu'elle ne retienne ses services.

LA DÉCISION

Tout d'abord, la Cour retient de la preuve présentée qu'Allunox n'a pas pris en considération les Plans et devis au moment de préparer sa soumission.

La preuve démontre en effet que Norexco a offert à Allunox de lui transmettre les Plans et devis afin de préparer sa soumission. Allunox a refusé et a prétendu qu'elle les avait déjà en sa possession en raison d'une collaboration antérieure avec l'architecte attitré au projet. Il s'avère toutefois que les plans et devis que possédait Allunox étaient en fait les plans préliminaires datant de l'année antérieure.

Une fois ce fait établi, la Cour doit déterminer si Allunox avait l'obligation de consulter les Plans et devis pour préparer sa soumission et, le cas échéant, si elle a engagé sa responsabilité à l'égard des frais additionnels encourus par Norexco.

La décision de principe relativement à l'obligation de renseignement en matière contractuelle demeure à ce jour l'arrêt Bail de la Cour suprême du Canada. La Cour supérieure retient le principe suivant qui est pertinent quant aux faits de la présente affaire : « [...] l'obligation de renseignement, dans le cadre de contrats d'entreprise pour de grands chantiers, peut varier selon l'expertise des parties »[2].

En l'espèce, la Cour estime que Norexco a fait la preuve, au moyen du témoignage de son représentant, qu'elle ne détenait pas suffisamment d'expérience dans le domaine de la fourniture et de l'installation de garde-corps pour être en mesure de vérifier la conformité de la soumission d'Allunox aux Plans et devis.

Cette preuve n'ayant pas été contredite par Allunox, la Cour supérieure en vient à la conclusion que l'obligation de vérifier la conformité de la soumission aux Plans et devis lui incombait puisque contrairement à Norexco, elle se spécialise dans ce domaine. Conséquemment, c'est elle qui avait l'expertise nécessaire pour assurer cette conformité.

La Cour se réfère également à l'affaire C. & G. Fortin Inc[3]. : « [...] il ne faut pas considérer ce que la personne moyenne aurait fait, mais plutôt déterminer si la personne qui a omis de se renseigner appartenait à une profession qui devait lui permettre de déceler aisément la difficulté et dans ces circonstances, il faut conclure à l'erreur inexcusable ».

La Cour estime qu'Allunox a manqué à son obligation en ne consultant pas les Plans et devis au moment de préparer sa soumission. En outre, elle considère qu'Allunox a commis une erreur inexcusable en présumant que les Plans et devis étaient identiques aux plans préliminaires.

La Cour conclut qu'Allunox a engagé sa responsabilité en s'appuyant sur les plans préliminaires pour préparer sa soumission, alors même que ceux-ci portaient les mentions « préliminaires » et « pas pour construction ». Elle condamne ainsi Allunox à verser à Norexco la somme de 85 990.15 $.

CONCLUSION

Cette décision nous rappelle que l'obligation de renseignement n'implique pas uniquement le devoir d'information, mais également le devoir de s'informer. Chacune des parties est tenue de respecter ces deux volets de l'obligation de renseignement.

Cette décision fait également ressortir le principe selon lequel l'obligation de renseignement en matière contractuelle peut varier selon le degré d'expertise des parties impliquées.

Dans ce cas précis, ce qu'il est primordial de retenir, c'est le fait qu'un entrepreneur spécialisé qui manquerait à son obligation de se renseigner pourrait voir sa responsabilité engagée.

Cet article est paru dans l'édition du 15 août 2017 du journal Constructo 

 Footnotes

[1] Norexco inc. c. Produits de métal Allunox Inc., 2017 QCCS 2993.

[2] Banque de Montréal c. Bail Ltée [1992] 2 RCS 554.

[3] C. & G. Fortin inc. c. Société immobilière du Québec, 2012 QCCS 3522.

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