LES CRÉANCES PÉCUNIAIRES1

Faits saillants

  • La créance pécuniaire est un concept en vigueur depuis le 1er janvier 2016.
  • La créance pécuniaire est une créance payable en argent uniquement.
  • La créance pécuniaire est due au débiteur par son créancier ou par un tiers.
  • L'hypothèque de la créance pécuniaire assure au créancier un premier rang, quelle que soit la date de son hypothèque sur la créance pécuniaire.
  • L'hypothèque de la créance pécuniaire est une sûreté occulte qui ne requiert pas de publication au RDPRM.
  • Plusieurs situations sont favorables aux créanciers pour obtenir une hypothèque sur une créance pécuniaire, par exemple :

    • le banquier pour le solde créditeur qu'il doit à son emprunteur;
    • le fournisseur pour les escomptes de volume ou autres rabais qu'il doit à son client;
    • la société par actions pour les dividendes qu'elle doit payer à son actionnaire.

Le Code civil du QuébecC.c.Q. ») contient, depuis le 1er janvier 20162, de nouvelles dispositions concernant les créances pécuniaires.

A. Introduction

Avant l'introduction des dispositions concernant les créances pécuniaires, les sommes remises par un débiteur à son créancier ne pouvaient pas être simplement conservées par le créancier à titre de sûreté. La seule façon pour le créancier de se protéger était d'obtenir de son débiteur une hypothèque mobilière sans dépossession grevant la créance que le créancier devait au débiteur en raison des sommes qui lui avaient été remises par le débiteur. Autrement dit, le créancier devait obtenir une hypothèque mobilière sans dépossession sur la créance qu'il devait lui-même à son débiteur. Dans tous les cas, le rang de cette hypothèque mobilière sans dépossession était déterminé par sa date de publication au registre des droits personnels et réels mobiliers (« RDPRM ») et, par conséquent, sujet à toutes les autres hypothèques mobilières sans dépossession déjà consenties par le débiteur sur cette même créance.

Par ailleurs, il a toujours été possible d'hypothéquer une créance au moyen d'une hypothèque mobilière avec dépossession, mais avant le 1er janvier 2016, les créances susceptibles d'être hypothéquées avec dépossession étaient celles constatées par un titre dont la remise matérielle au créancier est suffisante pour constituer un gage de créance3. La création du gage par la remise matérielle du titre évite la convention d'hypothèque mobilière constatée par écrit, de même qu'elle dispense le créancier de publier ses droits de créancier hypothécaire au RDPRM, la détention matérielle du titre équivalant aux mesures de publicité requises par le C.c.Q. Le gage d'une créance constatée par un titre remis au créancier n'a jamais constitué une pratique courante.

La difficulté pour un créancier d'obtenir facilement une sûreté sur des sommes qui lui sont remises par son débiteur, c'est-à-dire sur des sommes que le créancier doit lui-même à son débiteur, a occasionné les changements au C.c.Q. par l'introduction d'un nouveau concept jusqu'alors inexistant en droit québécois, soit celui de la créance pécuniaire.

B. Système américain

La réforme du C.c.Q. en matière de créances pécuniaires s'inspire du droit américain qui prévoit une sûreté similaire, mais qui est toutefois limitée aux soldes créditeurs des comptes bancaires. La réforme québécoise innove par rapport au système américain puisque la plupart des sommes d'argent dues par un créancier à son débiteur peuvent être considérées comme une créance pécuniaire susceptible d'être affectée d'une hypothèque mobilière avec dépossession. En raison de la définition donnée à la créance pécuniaire, les situations où un créancier peut se prévaloir de ce mode de sûreté sont beaucoup plus nombreuses et variées qu'en droit américain.

C. Définition de la créance pécuniaire

La créance pécuniaire est une créance qui oblige le débiteur à rembourser, à rendre ou à restituer une somme d'argent ou à faire tout autre paiement ayant pour objet une somme d'argent4.

La créance pécuniaire peut se définir comme la créance qui appartient au débiteur et qui lui est payable au moyen d'une somme d'argent par :

  1. son créancier; ou
  2. un tiers :

    1. en raison d'un solde créditeur au compte financier maintenu par le débiteur auprès de ce tiers, ou
    2. en raison d'une somme d'argent versée et remise par le débiteur à ce tiers pour garantir une obligation du débiteur envers un de ses créanciers.

Le concept de créance pécuniaire implique une relation à deux (2) parties ou une relation à trois (3) parties. Dans le premier cas on retrouve obligatoirement un débiteur et son créancier dans une relation bipartite et, dans le second cas, on retrouve obligatoirement un débiteur, son créancier et un tiers dans une relation tripartite.

D. Exclusions de la définition de la créance pécuniaire

À la définition très large de créances pécuniaires, le C.c.Q. prévoit cependant trois (3) types de créances qui sont expressément exclues du régime applicable aux créances pécuniaires5. Les créances suivantes ne sont pas des créances pécuniaires, à savoir :

  1. les espèces individualisées (argent comptant) remises par le débiteur entre les mains du créancier, lorsque l'entente entre les parties prévoit le retour des mêmes espèces par le créancier au débiteur;
  2. la créance qui est une valeur mobilière ou un titre intermédié suivant les dispositions de la Loi sur le transfert de valeurs mobilières et l'obtention de titres intermédiés6; et
  3. la créance représentée par un titre négociable n'est pas une créance pécuniaire. À titre d'exemple, un billet promissoire régit par la Loi sur les lettres de change7 est un instrument qui n'est pas une valeur mobilière8 et qui n'est pas non plus une créance pécuniaire en vertu du C.c.Q. La créance constatée par un billet promissoire peut être hypothéquée sans dépossession comme toute autre créance et elle peut également être hypothéquée avec dépossession puisqu'elle se qualifie aux fins des articles 2702 et 2709 C.c.Q. La différence fondamentale entre un gage d'une créance constatée par un titre, tel qu'un billet promissoire, et le gage d'une créance pécuniaire, tient au rang de la sûreté du créancier. Le gage d'une créance constatée par un titre, tel un billet promissoire, prend rang à compter du moment de la remise du billet au créancier9 et le gage demeure sujet à toutes les autres hypothèques mobilières sans dépossession publiées à cette date au RDPRM et grevant la même créance.

Sans avoir été nommément exclue des créances pécuniaires, la créance pour du loyer payable en vertu d'un bail immobilier est aussi une créance qui ne peut pas être une créance pécuniaire. Le C.c.Q. prévoit que le loyer produit par un immeuble ne peut être hypothéqué qu'au moyen d'une hypothèque immobilière10. Par conséquent, on ne peut pas envisager créer une hypothèque mobilière sur le loyer produit par un immeuble lorsque le C.c.Q. impose l'hypothèque immobilière.

Le C.c.Q prévoit que la créance pécuniaire peut être mise en gage par un individu mais dans la mesure où un tel individu peut constituer une hypothèque mobilière sans dépossession sur cette même créance11. Il faut référer au Règlement sur le registre mobilier12 pour identifier les créances qu'un individu ne peut pas hypothéquer sans dépossession.

E. Créance pécuniaire – relation bipartite

Dans les cas où il n'y a que le débiteur et son créancier, la créance pécuniaire est la somme d'argent que doit le créancier à son débiteur.

Dans ce contexte, comme dans le cas d'un banquier et son emprunteur, chaque partie est à la fois débiteur et créancier de l'autre. À titre d'exemple, ABC inc. doit 10 000 $ à sa banque et maintient un solde créditeur de 5 000 $ dans son compte bancaire auprès de cette même banque. Pour la banque qui est le créancier de ABC inc., la somme de 5 000 $ est une créance pécuniaire qui appartient à ABC inc. et qui lui est payable par la banque. La situation est différente selon qu'on la regarde sous l'angle d'une partie ou de l'autre. Ainsi, à l'inverse, pour ABC inc., le solde créditeur de 5 000 $ qui lui est dû par la Banque est sa créance principale et la créance pécuniaire sur laquelle ABC inc. peut désirer obtenir une sûreté est la somme de 10 000 $ qu'elle doit à la Banque.

Il n'est pas conceptuellement problématique, dans une relation bipartite entre un créancier et son débiteur, que chacun d'eux obtienne de l'autre une hypothèque avec dépossession sur leur créance pécuniaire respective.

Les situations donnant ouverture aux créances pécuniaires entre deux parties, soit le débiteur et le créancier, sont également celles qui sont admissibles au mécanisme de la compensation. Cependant, le mécanisme des créances pécuniaires est beaucoup plus souple que la compensation et est applicable dans des cas où la compensation n'est pas disponible. Par exemple, la compensation ne peut s'appliquer que si les dettes sont mutuellement dues, liquides et exigibles13. Le mécanisme des créances pécuniaires permet au créancier d'obtenir une sûreté sur une somme qu'il ne doit pas encore à son débiteur, ou dont le montant n'est pas encore déterminé. Dans ces cas, la compensation n'est d'aucune utilité.

Sous réserve des exclusions prévues par le C.c.Q., n'importe quelle sorte de créances payables par le créancier à son débiteur peut se qualifier comme créance pécuniaire. La seule exigence est qu'il s'agisse d'une créance payable en argent, à l'exclusion de tout autre mode d'exécution. Par conséquent, de très nombreuses créances peuvent être considérées comme une créance pécuniaire.

E.1 Exemples de créances pécuniaires entre le débiteur et son créancier (relation bipartite)

En matière de financement par des institutions financières, certains cas sont plus fréquents que d'autres, par exemple :

  1. les sommes dues par l'institution financière en lien avec le solde bancaire créditeur dû à l'emprunteur en sa qualité de titulaire du compte bancaire;
  2. les sommes dues par l'institution financière à son emprunteur en raison de sommes confiées par l'emprunteur à titre de provisions pour taxes foncières dans le cadre d'un prêt hypothécaire immobilier;
  3. les sommes dues par l'institution financière qui perçoit de son emprunteur des dépôts susceptibles d'être remis à l'emprunteur à certaines conditions.

Le C.c.Q. n'est pas limitatif et les tribunaux seront appelés à se prononcer sur d'autres situations applicables aux créances pécuniaires. À titre d'exemples, on peut également mentionner les situations suivantes :

  1. une société par actions et son actionnaire : l'actionnaire est le débiteur de la société par actions en raison d'un emprunt qu'il a contracté auprès d'elle et il peut aussi devenir le créancier de cette société en raison de dividendes que la société par actions lui doit ou lui devra éventuellement;
  2. l'acheteur et son vendeur : l'acheteur est le débiteur du vendeur en raison d'un solde de prix de vente impayé et il peut aussi devenir le créancier de son vendeur pour le paiement d'ajustements ou pour des dommages subis par l'acheteur suite à des représentations inexactes ou erronées du vendeur;
  3. un fournisseur et son client : le client est le débiteur de son fournisseur pour des achats effectués dans le cours normal des affaires et il peut aussi devenir le créancier de son fournisseur pour des remboursements en lien avec des retours de marchandises défectueuses ou pour le paiement de ristournes ou autre escompte de volume;
  4. un constructeur et le propriétaire des lieux : le propriétaire est le débiteur de son constructeur et il peut aussi devenir le créancier de son constructeur en raison de travaux déficients ou incomplets14.

Chacune de ces situations donne ouverture à l'obtention d'une sûreté sur les créances pécuniaires dans la mesure où celles-ci sont toutefois payables en argent.

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Footnotes

1 Texte de Maxime B. RHÉAUME, avocat, associé de Miller Thomson s.e.n.c.r.l., co-chef du département de financement du bureau de Montréal, chargé de cours en droit des sûretés au programme de maîtrise en droit notarial de la Faculté de droit de l'Université de Montréal et vacataire à l'Université Lumière Lyon 2 au programme du Master en droit des affaires avancé.

2 Art. 2713.1 à 2713.9 C.c.Q.

3 Art. 2702 et 2709 C.c.Q.

4 Seules les créances payables au moyen d'une somme d'argent sont considérées. Une créance qui n'est pas payable au moyen d'un paiement en argent ne peut pas être une créance pécuniaire.

5 Art. 2713.1 C.c.Q.

6 Loi sur le transfert de valeurs mobilières et l'obtention de titres intermédiés, RLRQ, c.T-11.002. (ciaprès «L.t.v.m.»).

7 Loi sur les lettres de change, L.R.C. (1985), c. B-4.

8 L'article 15 L.t.v.m. prévoit que si le billet n'est pas une valeur mobilière, il peut néanmoins être un actif financier.

9 Le C.c.Q. prévoit cependant un « gage fantôme » pour une période de dix (10) jours aux conditions prévues à l'article 2708 C.c.Q.

10 Art. 2695 C.c.Q.

11 Art. 2713.9 C.c.Q.

12 L'article 15.02 du Règlement sur le registre des droits personnels et réels mobiliers, RLRQ, c. CCQ, r.8 prévoit que les biens constituant les régimes enregistrés d'épargne-retraite, de revenu de retraite, d'épargne-études ou d'épargne-invalidité ne peuvent être hypothéqués sans dépossession par un individu et, par conséquent, les créances qui en découlent ne peuvent pas être des créances pécuniaires susceptibles d'hypothèques mobilières avec dépossession. Ces biens auxquels réfère l'article 15.02 sont des biens à l'encontre desquels un individu ne peut créer aucune sûreté.

13 Art. 1673 C.c.Q.

14 Le constructeur bénéficie de la protection de l'hypothèque légale de la construction mais l'hypothèque de créances pécuniaires peut s'avérer une protection intéressante pour le propriétaire de l'immeuble.

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