Dans une sentence arbitrale récente1, l'arbitre Claude Rondeau ordonne à l'employeur de verser à la plaignante des dommages non pécuniaires de 35 000 $ et punitifs de 10 000 $. L'employeur est également tenu d'organiser des activités de sensibilisation et de formation sur le harcèlement psychologique pour l'ensemble de son personnel ou, à défaut, de verser à la plaignante une somme additionnelle de 20 000 $. Il s'agit d'une décision marquante quant aux montants des ordonnances de dommages prononcées.

Faits et résumé de la décision

L'employée est technicienne en éducation spécialisée. Dans une décision précédente, le même arbitre concluait que la plaignante avait été victime de harcèlement de la part de l'enseignante titulaire de la classe dans laquelle elle travaillait. Il conclut également à la faute du directeur d'école, qui a fait preuve de laxisme dans son traitement de la situation. La plaignante avait logé une plainte à l'interne alléguant qu'elle avait été victime de harcèlement. La direction de l'école n'avait pas géré la situation et avait fait preuve de mépris à l'endroit de la plaignante en invitant cette dernière, en réponse à sa plainte, à changer d'école. La commission scolaire est, quant à elle, jugée fautive en raison de son rejet de la plainte interne pour harcèlement et du délai trop long pour traiter cette plainte.

Une fois sa décision rendue quant à la présence de harcèlement psychologique en contravention à la Loi sur les normes du travail, l'arbitre avait laissé aux parties le soin de s'entendre sur la compensation due à la plaignante. À défaut d'entente, l'arbitre fut saisi de la question du quantum. Cinq journées d'audition ont été tenues sur la question uniquement des dommages et ordonnances à être rendues en réponse au harcèlement psychologique subi par la plaignante.

L'arbitre fait d'abord un bref retour sur la preuve. Il retient que l'enseignante titulaire a commis plusieurs gestes de harcèlement. Notamment :

  • celle-ci suivait et surveillait la plaignante lors de ses pauses;
  • elle l'excluait de rencontres concernant les plans d'intervention d'élèves handicapés;
  • elle lui parlait d'un ton fâché et autoritaire à de nombreuses reprises;
  • elle ne voulait pas que cette dernière participe à des activités de formation ni qu'elle siège sur des comités.

Quant au directeur de l'école, l'arbitre lui reproche de n'avoir rien fait pour gérer la situation et mettre un terme au harcèlement. Il retient de la preuve que la plaignante avait toujours eu le sentiment de le déranger, que ses doléances n'étaient pas prises au sérieux par le directeur. Surtout, il retient que le directeur a retiré la plaignante de la classe et l'a invitée en sacrant à aller dans une autre école. En pleurs et humiliée, la plaignante a alors été placée en attente toute la journée dans la salle du personnel de l'école. Par la suite, il a été mis en preuve qu'il y avait eu un mot d'ordre de se méfier de la plaignante.

Il a été mis en preuve qu'il existait chez l'employeur une Politique visant à contrer la violence en milieu de travail. Toutefois, la plainte logée par la plaignante à la commission scolaire pour violation de cette politique n'avait pas reçu un traitement sérieux ni rapide au sens même de la politique. L'arbitre retient qu'il a été mis en preuve que la plaignante se sentait diminuée dans ses fonctions, sans droit de parole ni de décision. Le comportement de l'enseignante a causé à la plaignante un stress énorme dans l'organisation de son travail. Il retient que celle-ci s'est sentie isolée, humiliée et que son milieu de travail était néfaste.

Quant aux effets qu'a eus ce milieu sur la plaignante, le Syndicat a déposé un rapport de psychiatre. Le médecin consulté conclut que la plaignante souffre d'un trouble d'adaptation et d'un trouble anxieux non spécifié, à caractère post-traumatique, des suites de la situation de harcèlement psychologique vécue. Plusieurs années après les événements, la plaignante souffre toujours d'un trouble anxieux, mais ce trouble ne l'empêche pas de travailler. L'arbitre retient que les conséquences néfastes du harcèlement perdurent pour la plaignante. Alors qu'elle était une personne confiante, elle est devenue excessivement sensible aux perturbations dans son environnement de travail et a dû faire des choix de carrière en conséquence. Elle a un sentiment d'injustice et une perte de confiance qui perdurent aussi. L'arbitre conclut qu'il n'est pas requis pour la plaignante de prouver la nécessité de soins médicaux. Il retient tout de même de la preuve qu'il est probable que les séquelles psychologiques soient permanentes. L'arbitre retient aussi que l'employeur n'a pas mis en place de procédures ni même tenu une discussion à la suite de la décision précédente qui précisait qu'il y avait eu harcèlement psychologique.

L'arbitre analyse les décisions récentes quant à l'attribution de dommages moraux et punitifs. Il souligne que les dommages moraux accordés sont généralement dans une fourchette de 15 000 $ à 20 000 $, mais que des dommages moraux plus élevés que 20 000 $ sont accordés lorsqu'il y a certains facteurs aggravants, notamment la durée du harcèlement, la gravité des gestes reprochés, la gravité des conséquences et le niveau hiérarchique de l'auteur du harcèlement. Il accorde finalement 35 000 $, soit bien au-dessus de la fourchette, particulièrement compte tenu de la durée du harcèlement de plus de six mois et de la contribution du directeur de l'école à la situation. L'arbitre ordonne aussi le paiement des intérêts sur cette somme, intérêts qui à eux seuls dépassent les 14 000 $ au jour de la décision.

Quant aux dommages punitifs, l'arbitre conclut qu'il y a matière à telle ordonnance, particulièrement en raison des propos tenus par le directeur. Il appartenait à la direction et à la commission scolaire de prévenir et de faire cesser toute situation de harcèlement et cette obligation n'a pas été rencontrée. La passivité de la direction est critiquée par l'arbitre. Il procède à l'analyse des décisions récentes ayant octroyé le paiement de dommages punitifs et conclut que ceux accordés par la jurisprudence se situent dans une fourchette variant généralement entre 10 000 $ et 20 000 $. Il accorde finalement 10 000 $ en dommages punitifs, afin de sensibiliser l'employeur à l'importance de la prévention du harcèlement psychologique. Ce montant est aussi sujet à intérêts, qui sont de l'ordre de plus de 4 000 $ au jour de la sentence.

Finalement, l'arbitre ordonne à la direction de l'école de mettre en place, dans les huit mois suivant la décision, des activités de sensibilisation et de formation sur le harcèlement psychologique en milieu de travail. Si elle fait défaut de se conformer à cette ordonnance, il ordonne à la commission scolaire de verser à la plaignante une somme additionnelle de 20 000 $.

Implications pratiques

Cette décision est marquante et rappelle que les obligations qui incombent aux employeurs en matière de prévention et d'intervention pour lutter contre le harcèlement psychologique ne doivent pas être prises à la légère. Elle s'inscrit parmi les décisions dans lesquelles les ordonnances de quantum sont les plus élevées en matière de dommages pour harcèlement psychologique. On y critique sévèrement la passivité de l'employeur. Les délais et le type de réactions posées par un employeur dans un contexte de plainte interne pour harcèlement psychologique doivent d'autant plus être rapides et adéquats. À défaut, la facture pourra être très salée.

Footnote

1. Commission scolaire des Hautes-Rivières et Syndicat du personnel de soutien des Hautes-Rivières (Ginette Leblanc), D.T.E. 2014T 190

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