Le droit des sociétés, derrière une apparente simplicité, se révèle très technique car les règles peuvent considérablement varier d'une forme sociale à l'autre et des dispositions légales se contredisent parfois. La question de la possibilité de supprimer le droit de vote en est une bonne illustration.

La question se pose différemment dans les sociétés par actions simplifiées (SAS) et dans les autres sociétés par actions que sont les sociétés anonymes (SA) et les sociétés en commandite par actions (SCA). Elle se pose également différemment selon que les actions de ces sociétés sont cotées (admises aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation) ou non, étant ici rappelé que les actions des SAS ne peuvent pas être cotées.

  1. Dans les SAS

Depuis la loi Pacte du 22 mai 2019 qui a opéré de grands changements en droit des sociétés et notamment modernisé le régime des actions de préférence, le droit de vote attaché aux actions émises par les SAS peut être supprimé en utilisant le mécanisme des actions de préférence (L. 228-11 du code de commerce). En effet, la Cour de Cassation (Cour de cassation, Chambre commerciale, 9 Février 1999 - n° 96-17.661, Cass. com., 23 oct. 2007, n° 06-16.537, P+B+R+I , d'Hem c/ Lacquay : Juris-Data n° 2007-041010), faisant une lecture extensive de l'article 1844, alinéa 1er, du Code civil, et allant au-delà de la lettre du texte, considère que « tout associé a le droit de participer aux décisions collectives et de voter et que les statuts ne peuvent déroger à ces dispositions que dans les cas prévus par la loi ».

Or, l'article L. 228-11 du code de commerce depuis la réforme du 22 mai 2019 prévoit désormais sans ambigüité la possibilité de supprimer totalement et définitivement le droit de vote attaché aux actions dans les SAS.

Avant la loi du 22 mai 2019, l'article L. 228-11 du code de commerce contenait en son sein une double contradiction puisque :

- le premier alinéa contenait par lui-même une première contradiction en indiquant que des actions de préférence sans droit de vote pouvaient être créées, à titre temporaire ou permanent, mais dans le respect des articles L. 225-122 à L. 225-125 du code de commerce. Or ces textes imposent des restrictions semblant interdire cette totale suppression du droit de vote. En effet, l'article L. 225-122, I du code de commerce impose un principe de proportionnalité d'ordre public aux termes duquel le droit de vote attaché aux actions de capital ou de jouissance doit être proportionnel à la quotité de capital qu'elles représentent et chaque action doit donner droit à une voix au moins. Ceci plaidait contre la suppression totale du droit de vote ! ;

- le deuxième alinéa du même article L. 228-11 du code de commerce de son côté affirmait, cette fois-ci sans restrictions, que le droit de vote pouvait être « aménagé pour un délai déterminé ou déterminable », voir « suspendu pour une durée déterminée ou déterminable ou supprimé », laissant supposer que le droit de suppression était absolu et autonome !

Enfin pour compliquer encore, certains ont tenté de faire valoir que ces restrictions ne pouvaient s'appliquer aux SAS puisque l'article L. 227-1 du code de commerce stipule expressément que ces articles de restriction (L. 225-122 à L. 225-125) ne sont pas applicables aux SAS. Ceci toutefois n'était pas recevable puisque l'article L. 288-11 est applicable aux SAS et qu'il rend ainsi applicable ces fameuses restrictions à la SAS par le simple renvoi qui y est fait.

La loi du 22 mai 2019 en supprimant la référence aux articles L. 225-122 à L. 225-125 pour les sociétés dont les actions ne sont pas admises aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation, a donc permis de lever cette contradiction pour ces sociétés.

Reste une limitation pour les SAS. Les actions de préférence sans droit de vote ne peuvent représenter plus de la moitié du capital social et toute émission ayant pour effet de porter la proportion au-delà de cette limite peut être annulée.

En revanche, en raison de l'article 1844, alinéa 1 du code civil qui prévoit que « Tout associé a le droit de participer aux décisions collectives », si le droit de vote peut être supprimé sur la base de l'article L. 228-11, le droit de participer aux décisions collectives quant à lui ne peut pas l'être (D. Martin, H. Le Nabasque, R. Mortier, C. Fallet et A. Pietrancosta, Les actions de préférence : Actes prat. ing. sociétaire 2012, dossier 6, n° 36). En conséquence, les titulaires d'actions sans droit de vote ne peuvent pas, à notre avis, être privés du droit de participer aux décisions collectives reconnu à tout associé par l'article 1844, al. 1 du Code civil, disposition à laquelle les statuts ne peuvent pas déroger (C. civ. art. 1844-10, al. 2).

Enfin, il est utile de rappeler que la suppression du droit de vote visée par l'article L. 228-11 ne peut en aucun cas être celle du droit de voter en assemblée spéciale des porteurs d'actions de préférence qui sont appelées à délibérer sur toute modification des droits attachés auxdites actions de préférence à peine de nullité des modifications (article L. 225-99 du Code de commerce).

  1. Dans les autres sociétés par actions non cotées (dont les actions ne sont pas admises aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation)

2.1. Dans le cadre des actions de préférence

Les actions de préférence, dans les sociétés par actions non cotées autres que les SAS sont soumises aux mêmes règles que celles exposées ci-dessus pour les SAS.

2.2. En dehors des actions de préférence

En revanche, une différence majeure existe entre les SAS et les autres sociétés par actions (SA et SCA) sur l'étendue des possibles en matière d'aménagement du droit de vote en dehors de la création d'actions de préférence.

Les actions émises par les SA et SCA sont soumises:

- au principe de proportionnalité qui est d'ordre public selon lequel, sauf dans les cas prévu par la loi, le droit de vote attaché à ces actions doit donc être proportionnel à la quotité de capital que les actions représentent, chaque action donnant droit à une voix au moins (art. L. 225-122, I du code de commerce) ; Les SA et SCA ne peuvent donc supprimer le droit de vote en dehors des actions de préférence;

- au principe de plafonnement égalitaire, selon lequel les statuts peuvent limiter le nombre de voix dont chaque actionnaire dispose dans les assemblées, sous la condition que cette limitation soit imposée à toutes les actions sans distinction de catégorie, autres que les actions à dividende prioritaire sans droit de vote. (L. 225-126 du code de commerce). Les SA et SCA ne peuvent donc plafonner le droit de vote de façon différenciée en dehors des actions de préférence.

L'intérêt de la SAS est de pouvoir, même indépendamment des actions de préférence, aménager beaucoup plus librement les droits de vote puisque les articles régissant les SAS excluent expressément l'application des règles restrictives ci-dessus prévues aux articles L. 225-122 à L. 225-125 du code de commerce.

Ainsi, hors actions de préférence, la SAS est libre d'organiser les règles de quorums et de majorités aux assemblées (donc en principe de restreindre le nombre de droits de vote sauf dans des cas très restreints prévus par la loi) et la SAS est libre de déterminer ceux des sujets qui relèveront de la décision des associés (sous réserve des quelques décisions qui, de par la loi, doivent être prises par les associés). Nous ne nous étendrons pas sur tout ce que permet cette flexibilité puisque la présente synthèse a pour vocation de n'examiner que la suppression du droit de vote.

Cela veut il dire pour autant que la SAS peut créer des actions sans droit de vote en dehors des actions de préférence ? On peut le penser au vu de ce qui précède et dans la mesure où il est permis d'être créatif dans la SAS. Toutefois, la possibilité de priver les associés d'une SAS de droits de vote en dehors du cadre des actions de préférence fait débat. Même si l'article L. 225-122 est expressément écarté par l'article L. 227-1 et que les conditions d'adoption des décisions collectives sont librement fixées par les statuts (art. L. 227-9, al. 1), certains font valoir qu'il est interdit de priver un associé de son droit de vote : en effet, il résulte de l'article 1844, al. 1 du Code civil que tout associé a le droit de participer aux décisions collectives, ce que la Cour de Cassation a interprété comme comprenant le « droit de voter » et les statuts ne peuvent y déroger que dans les cas prévus par la loi (Cass. com. 23-10-2007 n° 06-16.537 : RJDA 1/08 n° 50).

En conclusion, l'avantage de créer des actions de préférence est que ce dispositif permet d'écarter aujourd'hui toute interrogation sur la possibilité pour les sociétés par actions non cotées de supprimer le droit de vote, surtout de manière générale et définitive dès lors que le nombre d'actions sans droit de vote ne dépasse pas 50% du capital.

  1. Dans les sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation

Pour ces sociétés, le droit de vote peut aussi être aménagé mais dans le respect des articles L. 225-122 à L. 225-125 comme c'était la règle pour toutes les sociétés avant mai 2019. Les contradictions qui existaient au sein de l'article L. 228-11 du code de commerce avant la loi du 22 mai 2019 et que nous avons rappelées en section 1 des présentes continuent donc à exister pour les sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation.

Ainsi, l'aménagement du droit de vote dans ces sociétés doit notamment respecter :

- le principe de proportionnalité qui est d'ordre public. Sauf dans les cas prévu par la loi, le droit de vote attaché à ces actions doit donc être proportionnel à la quotité de capital que les actions représentent, chaque action donnant droit à une voix au moins (art. L. 225-122, I du code de commerce) ;

- la règle selon laquelle les statuts peuvent limiter le nombre de voix dont chaque actionnaire dispose dans les assemblées, sous la condition que cette limitation soit imposée à toutes les actions sans distinction de catégorie, autres que les actions à dividende prioritaire sans droit de vote. (L. 225-126 du code de commerce).

En outre, les actions de préférence sans droit de vote dans les sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé, ne peuvent pas représenter plus du quart du capital social. A défaut, l'émission de ces actions peut être annulée.

Conclusion : Bien fou celui qui ne se fie qu'à la lecture d'un seul article du code de commerce, en l'espèce l'article L. 228-11 du code de commerce, et à la lettre du texte, car comme nous l'avons vu, les choses sont dans les faits beaucoup plus complexes qu'il n'y parait.

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