Un client très actif dans le démarrage de nouvelles entreprises technologiques revenait d'un congrès aux États-Unis. Lui, et certains membres du CA d'une de ses startups, avaient assisté à une présentation donnée par des avocats américains spécialisés en brevet (des Patent attorneys). Voici le message véhiculé par ces avocats lors de cette présentation : « Il n'y a pas de raison de ne pas déposer vos demandes de brevet. Nous pouvons faire un dépôt provisoire pour seulement 500$. »

C'était une présentation relativement sérieuse et crédible. Cette affirmation aurait certainement piqué l'intérêt de toute personne ayant déjà effectué une démarche sérieuse de brevet avec un cabinet reconnu, mais ayant une connaissance limitée des détails.

Évidemment, ce serait fantastique si nous pouvions obtenir une bonne protection pour nos inventions pour aussi peu. Par contre, toute personne connaissant le taux horaire des Patent Attorneys, sans parler du taux de change, ne peut pas raisonnablement s'attendre à beaucoup de temps professionnel dans ces circonstances. Qu'en est-il exactement?

Si vous avez lu le titre de ce texte, vous devez vous douter qu'il y a anguille sous roche. En effet, aussi simple qu'elle puisse paraître, cette question en soulève d'autres qui font appel à des notions avancées dans le domaine. Qu'est-ce qu'une demande de brevet provisoire exactement? Quel est le lien entre une demande de brevet provisoire et une demande de brevet internationale? Comment pouvons-nous optimiser l'investissement en brevet pour en tirer le maximum de bénéfice?

La Convention de Paris

Un prérequis aux réponses à ces question est la connaissance de la Convention de Paris pour la protection de la propriété intellectuelle (Convention de Paris). On parle ici de LA convention internationale en propriété intellectuelle, définitivement un incontournable en stratégie de brevets.

En effet, sauf quelques conventions régionales, il n'y a pas, à l'heure actuelle, de procédure qui permette d'obtenir un brevet réellement international. Il faut éventuellement sélectionner les pays (et payer les gouvernements et agents de brevets locaux).

Il n'y a pas, à l'heure actuelle, de procédure qui permette d'obtenir un brevet réellement international.

La Convention de Paris sert, essentiellement, à permettre de réserver les droits internationaux en se basant sur un enregistrement de droit dans un premier pays. On parle de revendiquer une priorité, la priorité étant l'enregistrement initial. En matière de brevets, la priorité est une première demande de brevet, déposée dans un premier pays et les droits sont réservés pour un an. On appelle cette première demande de brevet la demande de brevet prioritaire.

À toutes fins pratiques, tous les pays du monde qui sont dotés d'un système de brevets sont signataires de cette convention et donc tenus d'adapter leurs lois en conséquence.

Pour être en instance internationale, donc, il suffit de déposer une demande de brevet dans un premier pays!

Pour être en instance internationale, il suffit de déposer une demande de brevet dans un premier pays.

Il y a un bémol important par contre. Même s'il y a de grandes ressemblances dans les systèmes de brevets à travers le monde, tous les pays n'ont pas les mêmes lois, règlements et jurisprudence. Ainsi, les exigences peuvent varier de façon significative d'un pays à un autre.

Exemples de différences nationales en brevets

Prenons comme premier exemple la façon dont différents pays peuvent traiter un scénario où les inventeurs ont dévoilé leur invention avant la priorité (et donc avant d'avoir déposé leur demande de brevet prioritaire). Une telle divulgation a lieu lorsque les détails (le secret) de l'invention est exposé publiquement, ce qui peut être le cas lorsqu'un produit est mis en vente, par exemple.

La majorité des pays du monde, et notamment la plupart des pays européens, fonctionnent en vertu du principe de la nouveauté absolue : on ne peut pas légalement y obtenir un brevet valide dans ce scénario. À la lumière du dévoilement de l'invention, l'invention n'est plus considérée comme répondant au critère de nouveauté, essentiel à la brevetabilité. Voilà pourquoi votre agent de brevets vous recommande de déposer votre demande de brevet avant de rendre votre invention publique.

Par contraste, le Canada, les États-Unis et certains autres pays exceptionnels, fonctionnent en vertu du principe de la période de grâce. Dans de tels pays, le dévoilement de l'invention n'est pas un frein critique à l'obtention du brevet, pour autant que le dépôt de la demande prioritaire ait eu lieu à l'intérieur d'une période de temps limitée suivant le dévoilement de l'invention.

Cette différence rend le principe de la nouveauté absolue, pourtant plus répandu dans le monde que celui de la période de grâce, contre-intuitif pour le Nord-Américain moyen.

Il y a d'autres différences significatives également. Par exemple, en cours d'examen, il peut devenir souhaitable de modifier les revendications. En Amérique du Nord, on peut habituellement ajouter des revendications sur des détails qui étaient explicitement décrits, voire seulement illustrés, dans la demande initiale. En Europe, la situation est plus complexe. Pour que de tels modifications ou ajouts soient acceptés ou considérés légalement valides, il peut être exigé que les détails en question aient été spécifiquement revendiqués dans la demande initiale, ou du moins identifiés explicitement comme étant une solution à un problème. Ainsi, toute personne souhaitant une protection en Europe doit se soucier non seulement de bien décrire son invention dans la demande de brevet, mais également de bien la revendiquer.

Toute personne souhaitant une protection en Europe doit se soucier non seulement de bien décrire son invention dans sa demande de brevet, mais également de bien la revendiquer.

Demande de brevet provisoire ou prioritaire?

Revenons au principe de revendiquer la priorité d'une demande de brevet déposée dans un premier pays en vertu de la Convention de Paris. Je vous avise tout de suite qu'en Amérique du Nord, on utilise souvent l'expression « demande de brevet provisoire » alors que l'expression « demande de brevet prioritaire » serait plus appropriée.

En Amérique du Nord, on utilise souvent l'expression « demande de brevet provisoire » alors que l'expression « demande de brevet prioritaire » serait plus appropriée.

L'expression « demande de brevet provisoire » vient de Provisional Application, un des types de demande de brevet prévue dans les règles sur les brevets aux États-Unis. En effet, une Provisional Application dure seulement un an, n'est pas examinée, ne requiert qu'un minimum de paperasse administrative et coûte significativement moins cher à présenter qu'une Non-Provisional Application. Une procédure comparable existe en Angleterre.

Au Canada, nous n'avons pas de procédure correspondante à celle du Provisional Application. Par contre, par le biais d'une entente bilatérale avec les États-Unis, les agents de brevets canadiens peuvent, du moment qu'ils soient enregistrés nationalement, demander leur droit de pratique aux États-Unis. Il devient donc tentant pour les agents de brevets canadiens de faire bénéficier à leurs clients de l'économie qui peut être obtenue par le biais de la procédure provisoire américaine.

Les inventeurs sont souvent pressés de déposer une demande de brevet.

En effet, les inventeurs et leurs entreprises sont souvent pressés de déposer une demande de brevet. Typiquement, ils arrivent à une étape où ils doivent divulguer leur invention pour pouvoir aller plus loin, mais comme ils ont été bien avisés par leur agent de brevets, ils ne veulent pas, ce faisant, faire l'acte irréparable d'abandonner leur droit d'obtenir un brevet dans la majorité des pays dans le monde. Il n'en demeure pas moins qu'ils en sont souvent relativement tôt dans la mise en marché et veulent limiter les dépenses, n'ayant à ce moment qu'une idée très incomplète de la valeur réelle de leur invention.

Le processus provisoire américain peut permettre de réduire les coûts initiaux.

Le processus provisoire devient alors intéressant car il peut permettre de réduire les coûts initiaux. En effet, le fait de déposer la demande de brevet prioritaire selon le processus provisoire, plutôt que, par exemple, selon le processus international en vertu du Traité de coopération en matière de brevets, peut permettre de repousser à plus tard des coûts associés aux taxes gouvernementales, à de la paperasse administrative et à la formalisation professionnelle des figures.

Ce qu'il vaut mieux ne pas repousser à plus tard

La pression sur les coûts pourrait en pousser certains à aller jusqu'à négliger la rédaction de la demande de brevet. Je parle ici d'une négligence qui ne se situe pas au niveau de la forme, mais du contenu. Par exemple, on pourrait vouloir économiser en demandant à notre agent de brevets de ne pas prendre le temps nécessaire pour bien poser toutes ses questions, faire les recherches requises pour obtenir tous les détails importants, bien exprimer ces détails importants dans la demande de brevet, ou encore de ne pas effectuer le travail fastidieux de décortiquer les réalisations en concepts plus généraux de différents niveaux d'abstraction, ce qui permet de faire une bonne structure de revendications.

La pression sur les coûts pourrait en pousser certains à aller jusqu'à négliger la rédaction de la demande de brevet.

Si une telle tentation vous habite, rappelez-vous :

  1. Que pour être internationale, votre demande de brevet prioritaire doit répondre aux normes légales de tous les pays visés.
  2. Que si la demande de brevet prioritaire n'est pas reconnue dans un pays donné, la date de priorité ne compte pas; la date qui compte est la date de dépôt national dans ce pays.
  3. Que si vous avez, comme plusieurs, montré un grand empressement à dévoiler votre invention immédiatement après la date de priorité, vous avez vraisemblablement dévoilé votre invention avant la date de dépôt national dans ce pays.
  4. Que si le pays en question, comme la majorité des pays du monde, fonctionne selon le principe de la nouveauté absolue, la divulgation de votre invention agit alors comme antériorité et devient opposable à l'obtention d'un brevet valide dans ce pays.

Échec et mat.

Ce genre de problème est d'autant plus sournois qu'il ne serait pas nécessairement soulevé par l'examinateur. Vous pourriez ainsi être très fier d'avoir obtenu votre brevet sans savoir qu'il s'agit, en fait, d'un brevet mort-vivant...


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